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Territoires Partagés – texte de Sébastien Cossette-Masse

Auteur·trice
Sébastien Cossette-Masse
Publié le
Janvier 2020
Production
Territoires Partagés

Évolution de l’entrainement au fil des ans et Crossfit

 

Sébastien danse professionnellement depuis sa sortie de l’École de Danse de Québec en 2011. Son entrainement a évolué tout au long de sa carrière, le conduisant aujourd’hui à faire du Crossfit. 

 

J’ai eu plusieurs phases, en lien avec mes emplois. Dans la 1re phase je travaillais avec Cas Public, une compagnie néoclassique, exigeante physiquement. Dans ma 1re année j’ai pris beaucoup de classe de ballet pour rattraper les lacunes de la formation que j’avais reçue en contemporain, avec une base en classique mais sans plus. J’ai fait un an à l’école Supérieure [de Ballet du Québec], en entraînement libre, et la compagnie donnait avant chaque répétition des classes de ballet. J’avais donc au moins une classe de ballet par jour. Ensuite j’ai commencé à m’entraîner au gym. Il y avait beaucoup de portés dans le travail alors je suis allé chercher une force musculaire que je n’avais pas développée à l’école. Par la suite, j’ai commencé à faire beaucoup de Pilates, pour l’alignement et pour comprendre mon corps dans son anatomie.

Après ça, quand je suis arrivé chez Marie Chouinard, on n’avait pas de classes offertes par la compagnie mais on avait un budget alors j’ai commencé à me faire mon propre entraînement. J’ai continué à faire du Pilates. Le classique a rapidement « pris le bord » parce que le travail de Marie est tellement un travail d’intériorité que ça ne faisait plus de sens de faire du ballet, de travailler dans cette esthétique.

J’ai commencé à faire du yoga pour retrouver un lien au souffle que je n’avais encore pas développé. La compagnie offrait quelques fois des classes de Continuum et de Feldenkrais. J’ai aussi commencé à entraîner ma psyché, mon cerveau, et j’ai commencé à prendre n’importe quelle classe qui se donnait dans le pays où je me trouvais lorsque la compagnie était en tournée. À travers la compagnie j’ai également découvert la technique Alexander et la CounterTechnique qui ont été mon entraînement de ma dernière année chez Marie.

En situation de compagnie mes matins étaient libres pour m’entraîner, avec les après-midis pour les répétitions. Maintenant, en tant que pigiste, j’ai des répétitions le matin, le midi, le soir, à des heures différentes et instables. Quel entraînement constant avoir malgré mes fluctuations d’horaire? Le CrossFit a été ma réponse. C’est un mélange de musculation, de travail cardiovasculaire (abdominaux, corde à danser, rameur, vélo), de gymnastique (travail avec des barres et des anneaux) et d’haltérophilie. Le CrossFit me permet de m’entraîner à 7h du matin, comme ça je me sens déjà échauffé pour une répétition à 9h du matin et pour ma journée devant moi. Il n’y a pas de classes de danse à 7h le matin malheureusement. En ce moment, j’ai des journées pleines et pour avoir mon moment avec moi, dans mon corps, au lieu du yoga, c’est le CrossFit. Ça répond au besoin que j’ai en ce moment de mobilité, de force et d’endurance et pour travailler mon discours mental dans l’effort.

Le CrossFit est une activité que l’on fait en groupe. C’est une activité collective. Il y a quelque chose de très festif, communautaire. On traverse tous ensemble la difficulté. Je trouve ça très motivant. Le défi est là à chaque cours. J’adore cette communauté de mouvement. Dans une classe technique de danse, je fais la classe pour moi, je fais ma recherche d’improvisation pour moi. Je recherchais davantage l’effet de communauté dans l’exercice physique. J’avais aussi besoin de sortir de l’idée de « performer ». On dirait que dans la classe technique, il y avait un peu l’idée de devoir « performer » devant mes comparses. Et dans un cours de Crossfit, je n’ai absolument pas cela. En ce moment, c’est agréable. Je fais mes trucs à 7h le matin et je suis bien à l’aise. Il n’y a pas d’autres danseurs.

Mon dada dans le Crossfit, ce pourquoi j’aime faire ça, c’est le Mindset. Si le Crossfit est intéressant pour le dépassement, pour l’entrainement et pour la force, ce qui m’intéresse le plus, c’est d’ajouter la conscience d’esprit, la conscience corporelle, la conscience des os, etc. Même si je suis rendu à ma 100ème répétition, que je suis complètement au bout de mes ressources, est-ce que je suis encore capable d’avoir un cerveau qui reste concentré sur l’ergonomie de mon corps, du mouvement? C’est un entrainement de ne pas lâcher la présence même dans une situation de dépassement physique. Dans un tel moment, on est souvent moins conscient et l’aspect émotif embarque : « Je ne suis plus capable, comment je vais faire pour passer à travers! ». Comment, à la place, je peux rester dans un discours présent, conscient, disponible et vivant? C’est ça que j’aime dans le Crossfit. Je n’avais pas beaucoup ce défi dans les cours de danse parce que c’est rare que je me rende dans un espace où ça me pousse à un point où je ne suis vraiment plus capable de continuer, où je ne sais pas comment je vais passer à travers. Dans le Crossfit, je travaille ma capacité à rester dans le moment présent, à faire l’action en conscience, même dans l’effort physique intense. C’est ça qui me stimule dans le Crossfit. Quel est le chemin que je vais prendre pour passer à travers un effort extrême? Et c’est ça qui est trippant parce que je me dis « ok, là je ne suis plus capable, alors je vais penser à mes pieds » ou « ok, là je suis juste tanné, alors je vais penser à ce que je vois en ce moment » ou « là, ok, je ne suis plus capable, alors je vais penser à l’espace entre mes omoplates. Faire des choix à chaque fois, c’est une capacité que j’amène dans mon travail d’interprète sur scène. Je fais des choix beaucoup plus assumés en répétition et en spectacle – même lorsque le show dure une heure et que je suis parfois à bout.

La création d’une méthode : Le Gym de la pensée

En 2018, Sébastien développe, avec Alexis-Michel Schmitt-Cadet, un outil d’entraînement pour les interprètes qui s’intitule le Gym de la pensée.

Inspiré de la danse contemporaine, de l’antenne de Lecher et de la pleine conscience, le Gym de la pensée offre un espace pour les interprètes en art à se découvrir par le mouvement.

Après 8-10 ans d’expériences en tant qu’interprète, dont 4 avec Marie Chouinard, je me rendais compte que j’étais beaucoup laissé à moi-même dans un studio et que je devais trouver mes chemins comme interprète seul. Au fur et à mesure, j’ai donc développé une méthodologie pour garder un équilibre entre être complètement perdu dans la recherche de mon art et trouver des appuis pour pouvoir grandir. À l’extérieur de chez Marie, j’ai commencé à lire beaucoup. J’ai commencé à faire des formations pour pouvoir m’appuyer sur ce qui se passe quand je suis tout seul en studio, en échauffement, dans le travail de Marie. Parce que pour moi, il y avait une incompréhension; je savais qu’il se passait quelque chose, je le percevais et je le ressentais – ce type de travail ou de connexion, le corps qui s’anime tout seul… Tu pars de presque rien, tu te concentres sur la respiration et là le corps s’anime et tu commences à bouger… Je pars du souffle et ça m’amène du mouvement. Mais c’est quoi dans le corps qui fait en sorte que ça marche? Et quand j’arrive dans un nœud physique ou émotif, est-ce que j’ai une méthodologie pour passer au travers de ce nœud ? Pour moi, le Gym de la pensée, c’est cette méthodologie pour permettre à l’interprète de travailler sa capacité à se connecter à ce qu’il y a dans son environnement et à lui-même. Le Gym de la pensée est donc en lien avec le discours intérieur du danseur dont je parlais dans le Crossfit.

Mes nombreuses formations, au début, ont commencé par des livres de croissance personnelle, de développement personnel pour juste apprendre à me connaître. Je suis allé à une place qui s’appelle l’ « Institut du développement de la personne » proche de Knowlton en Estrie et, après ça, j’ai fait les « Hommes de Cœur » qui est une association d’hommes qui se disent les « vraies affaires », avec une capacité à parler authentiquement (exactement ce que je voulais alors dans ma danse –qu’elle soit de plus en plus authentique ou que je comprenne ce que je vivais à l’intérieur de celle-ci).

Et après j’ai travaillé beaucoup au niveau vibratoire dans le corps, la cellule, tout le côté fréquentiel; l’électricité, les fréquences en mouvement. J’ai travaillé avec Christine Lessard, une maître au Costa Rica, qui s’est spécialisée en l’antenne de Lecher. Cette formation m’a permis de comprendre tout le niveau fréquentiel du corps et de l’espace autour de nous. Et ça m’a spécialisé sur le travail du cerveau, savoir comment le cerveau fonctionne. Le corps est biomécanique mais il est aussi très électrique avec son cerveau et son système nerveux. Je me suis dit : « si les muscles attendent les indications de mon cerveau, c’est parce que c’est mon système électrique qui permet que le mouvement se passe ». Alors s’il y a des coupures dans mon système électrique, ou si mon système électrique n’est pas en santé, l’information ne va pas se rendre. J’ai donc voulu me questionner sur le système nerveux et sur le cerveau, parce que pour moi c’est lui qui reçoit les informations, et c’est lui qui redonne par la suite. Et est-ce que le système nerveux est en santé? Comment je fais pour l’entraîner, comment je fais pour le stimuler, le calmer, le maîtriser?

Et après, c’est ce que je vivais; quand je respirais, ça amenait du mouvement, ça amenait des frissons dans mon corps, ça amenait de l’énergie (mais est-ce qu’on peut mettre plus de mots autour de ce fameux mot qui veut dire tout et rien en même temps?).  Le Gym de la pensée, c’est cette recherche-là, comment je peux développer cette capacité de présence lorsque le système nerveux et le cerveau sont disponibles. Pour moi, le Gym de la pensée, c’est un outil pour permettre à l’interprète de travailler sa capacité à se connecter à ce qu’il y a dans son environnement et à lui-même. Le gym de la pensée me permet d’entraîner ma connexion aux autres et ça m’a amené beaucoup de compréhension sur la gestion émotionnelle, l’intelligence émotionnelle, la capacité à lire le visible et l’invisible chez moi et le comprendre chez l’autre. Alors maintenant quand j’interprète et que je vois un chorégraphe bouger, je vois ce qui se passe physiquement, mais je suis également capable de beaucoup plus lire ce qu’il se passe autour et je me rends compte que c’est souvent ça que le chorégraphe essaie de partager dans sa gestuelle; il va prendre sa gestuelle pour partager quelque chose d’invisible et il veut qu’on capte les deux. Alors maintenant j’ai une meilleure capacité à lire les deux. Pour moi, le Gym de la pensée, c’est aussi entraîner cette pensée d’intuition et d’attention qui aide à entraîner une meilleure lecture de soi-même et des autres par un travail de centrage intérieur, de nettoyage du système nerveux central, en se donnant la permission de suivre son intuition et au non-jugement, en respectant ses limites physique et perceptives. La perception, c’est quelque chose qui s’entraîne. J’ai voulu dans le Gym de la pensée développer cet entraînement là pour avoir un peu plus de validation, d’assurance et de confiance dans la perception de l’invisible ou de tout ce qui se passe dans les corps énergétiques autour du corps physique des gens.

Dans un cours de gym de la pensée, comme première partie, on passe un temps, environ une demi-heure d’échauffement pour vraiment se réapproprier notre connexion à soi-même. C’est là que je vais amener plein de notions sur les corps physiques et énergétiques. Dans les cours de danse, on apprend à mieux connaître notre anatomie, alors on peut mieux bouger avec. Mais si je comprends un peu mieux mon anatomie énergétique, je peux encore plus être conscient de celle-ci et bouger avec.

Après avoir apporté ces notions du corps énergétique, on s’entraîne, dans la deuxième partie du cours, sur sa qualité de présence; sa qualité d’intention et sa qualité d’attention sur le corps… C’est très guidé. C’est rare que je dise « faites comme moi », à part quelques petits moments surtout dans l’échauffement. Il y a des improvisations guidées, des mouvements de danse… moins issue d’une technique formelle / danse classique, mais plus des branchements du corps et des points énergétiques du corps, des méridiens pour aller jouer et réveiller des canaux dans le corps. Comprendre ces canaux-là, les réveiller, les ouvrir pour après ça être connecté et commencer à travailler sur des thèmes spécifiques.

On se laisse être de plus en plus être témoins de notre danse, être observateur de celle-ci. Il y a un espace au milieu du cours où on devient témoin de ce qui est là pour nous en ce moment. Je trouve que c’est une super bonne façon d’entraîner l’intention au lieu de la volonté du mouvement – donc au lieu d’être volontaire dans le mouvement, de se laisser être guidé dans le mouvement, dans cette capacité d’improvisation-là. Et au lieu de faire une multitude de choix, d’en faire un et de le garder et de voir comment ce choix évolue. Il y a ce moment-là d’entraînement où je choisis d’être guidé soit par une partie de mon corps énergétique, soit par une pensée, soit par une tâche et de voir si je reste dans l’intention et de garder ça.

Après, c’est mon espace pour déconstruire les jugements, augmenter la permission. Pour moi, le fondement, c’est créer un espace de sécurité, pour vraiment plonger dans l’inconscient et être capable d’en ressortir – ce que, je trouve, j’avais de la difficulté, comme danseur-interprète, surtout chez Marie. Des fois, je dansais sur scène, et ça m’habitait tellement, que je rentrais à la maison et j’étais encore habité. Aussi, j’ai pu observer des artistes qui parlent de danse en studio, en répétition mais aussi à la maison, au souper. Il n’y a pas ce in and out là, cette capacité à rentrer et à sortir pour que le corps se récupère, pour éviter l’épuisement, le burn-out parce que tu peux te reposer. Alors c’est cet entraînement-là que je fais pour rentrer, bouger et ressortir, le faire consciemment pour le corps, le système nerveux et le cerveau. Pour faire ça, en ce moment, je délimite un espace concret sur scène ou dans le cours et ensemble on fait le processus d’entrer consciemment dedans et de sortir. Sinon, je propose des outils de nettoyage. Le corps le fait naturellement. Je fais juste le dire et le monde saute 2-3 fois ou ils s’arrêtent. Des fois, on revient à toucher le mur, on part du mur… ça, c’est notre espace où on ne danse pas, on rentre et on ressort. Ce sont des outils concrets.

La troisième partie du corps, c’est dans la collectivité. Je suis connecté à moi-même, je suis connecté à ce qui est là pour moi, donc comment est-ce que je peux être plus empathique à ce qui se passe pour l’autre? Le Gym de la pensée, c’est cet entraînement-là, à la lecture de l’autre, physique et invisible, et de créer cette connexion-là, cette relation-là. Quand on est deux sur une même intention, sur une même tâche, qu’est-ce que ça crée? C’est beaucoup de jeux créatifs, c’est beaucoup de guidance. Plus le cours avance, moins je bouge, parce que j’ai de plus en plus l’objectif d’amener l’autonomie chez le danseur.

Le Gym de la pensée est issu de toute l’incubation de ce que j’ai appris et vécu au cours des 10 dernières années. Dans un de mes cours de l’antenne de Lecher, ma mentor du Costa Rica m’avait parlé de comment les druides se forment. Le druide du village, dans certaines tribus, choisit un jeune qui va devenir le futur druide. Le druide lui enseigne toute sa connaissance mais ce n’est pas à la fin de cette apprentissage qu’il devient druide. L’apprenti-druide doit aller vivre seul pendant trois ans dans la nature pour intégrer la connaissance, pour se connecter à la nature, pour se connecter aux animaux, à tous les environnements de cette nature qui va devenir sa matière première pour aider. C’est quand il revient au village, quand il a expérienté dans le concret toute sa connaissance qu’il devient druide. Il a à établir un lien puissant avec la nature pour ensuite qu’elle le guide dans ses rituels. Alors je me suis dit : « ok, je pense que j’ai appris plein d’affaires, j’ai eu plein de mentors, j’ai pris des cours, j’ai pris des cours, j’ai pris des cours, j’apprends, j’apprends, j’apprends, mais j’incube ça comment? ». Alors je me suis donné un an pour aller dans ma forêt, comme le druide, pour aller incuber ce que j’avais appris. Mais comment faire ça? Il y avait un professeur à Québec qui mettait des danses du jour sur Facebook et j’ai une de mes amies qui, pendant un an, a fait une illustration par jour. Une illustration par jour, une danse du jour sur Internet, une minute… et je me suis dit que j’allais faire comme le druide et que j’allais me retirer dans ma forêt intérieur et incuber toute cet amalgame de connaissances. J’ai alors fait le projet Calembredaine. Le Gym de la pensée est issu de ce parcours de recherche.

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https://www.gymdelapensee.com/gym-de-la-pensee

Vous pouvez suivre les activités de scène, d’enseignement et de création de Sébastien sur son site web https://www.sebastiencm.com/

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