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Premier retracement : origine du projet

Auteur·trice
Sophie Michaud
Publié le
juin 2025

Je n’en doute pas. 

L’inoculation de ce projet remonte au premier jour où j’ai fait chair autrement avec la danse. Depuis 1990, autant ma passion pour le travail d’accompagnement est vive, autant ma volonté d’approfondir la saisie de ce qui la fonde et la renouvelle est persistante. Passé le coup de foudre pour le rôle de répétitrice, j’ai voulu que ma nouvelle relation avec la danse se prolonge dans une histoire significative et pérenne. Après quelques tâtonnements intuitifs en studio, le besoin de définir la nature de ma pratique et d’en éclairer les actions m’a amenée à entreprendre des études de deuxième cycle en danse. Or, face à l’inexistence d’écrits sur une fonction que j’ambitionnais d’appréhender comme une spécialité, je n’ai eu d’autres choix que d’observer ma propre expérience encore embryonnaire. En quête de réponses, la phénoménologie s’est avérée un espace riche de questionnement et de révélation. Imprégnée des enseignements dispensés par un trialogue ininterrompu entre la praxis, la lecture et la réflexion, j’ai consacré mes efforts à la compréhension du lien entre le « corps voyant » et le corps dansant. 

Devenue mon propre sujet de recherche, j’ai essayé non pas de me raconter; davantage, je me suis efforcée d’expliciter l’immédiateté de l’expérience intersensorielle qui ancre ma présence en studio et dont découle l’essentiel de mes actions. En proposant un premier regard sur le vécu de l’artiste évoluant comme répétitrice, je me suis enracinée et, durant des années, je me suis exercée à voir et à agir. Or, ma curiosité m’a tôt amenée à vouloir comprendre comment « ces autres », mes pairs, approchaient et incarnaient la posture de spectateur·rice privilégié·e en studio. Déjà, je devinais que leur manière d’accompagner chorégraphes et interprètes était distincte, forte de l’identité artistique et de la trajectoire de chacun·e. J’ai donc voulu éclairer leur présence dans l’écosystème de la danse. Cette volonté de faire connaitre le métier, ses artistes et leur savoir, a alors pris la forme d’un militantisme jusqu’à ce jour inapaisé. J’avoue, ce projet est aussi issu de l’amertume éprouvée face à l’inconsidération de mon métier dans la compréhension des modes de création chorégraphiques.

Autoportrait de Sophie Michaud Tournée Les jolies choses de Catherine Gaudet, Oslo 2024

Autoportrait
Tournée Les jolies choses de Catherine Gaudet, Oslo 2024
c.Sophie Michaud

Les années passant, au début des années 2 000, mon indignation s’est nourrie de rares et précieux écrits dont ceux de l’artiste et chercheure brésilienne Paola Secchin Braga en qui j’ai trouvé une première véritable alliée, ses paroles ayant à la fois l’effet d’un baume calmant et d’une dose d’adrénaline ! À la même époque, je « criais » présente à l’invitation du Regroupement québécois de la danse (RQD) à participer à différentes initiatives ayant comme objectif la reconnaissance du répétiteur et de la répétitrice. En quelque sorte, je me suis fait la voix de ce métier à la fois silencieux et invisible. Dans la foulée des travaux précédents les Seconds États généraux de la danse (2008), j’ai présidé le chantier Conditions et exigences de l’art durant lequel, notamment, les répétiteur·rices ont été entendu·es. De cette consultation a découlé la création de la charte et du profil de compétences des directrices et des directeurs des répétitions en danse. Des actions concrètes ont été posées, une brèche s’est ouverte ; sans grand bruit, le métier est sorti de l’ombre. Presque révolu le temps où on affublait le.la spécialiste de l’accompagnement du titre de répétiteur/répétitrice que plusieurs des artistes qui y sont associé·es trouvent réducteur au regard de leurs compétences et responsabilités. 

Une dizaine d’années plus tard, la volonté d’historiser la présence des artistes de l’accompagnement m’a reconduite sur les bancs de l’école au doctorat en Études et pratiques des Arts. Une fois de plus, dans l’examen des écrits sur la danse québécoise, je me suis butée à la quasi inexistence de mentions sous divers titres (répétiteur·rice, directeur.·rice des répétitions, assistant·e-chorégraphe, conseiller·ère artistique, regard extérieur…) de cette tierce personne, souvent partie prenante des créations chorégraphiques du répertoire moderne et contemporain. Conséquemment, j’ai remonté un à un les chemins de traverse, scruté les alentours et procédé au repérage des empreintes laissées par l’artiste dans le paysage de la danse québécoise depuis les années 70. À cette étape, l’éclairage fourni par l’histoire et la sociologie a permis le défrichement d’un terrain de recherche immense. Décrypter les archives m’a tenue en haleine ; entre enthousiasme et décontenance, j’ai vu apparaitre la silhouette de nombreux artistes : la majorité des femmes, la quasi-totalité d’entre elles absente des histoires relatées.  C’est avec ce plein d’informations que j’ai renoncé non pas à poursuivre ma recherche, mais à la rédaction de la thèse. 

Une des rares mentions du métier de répétiteur dans un ouvrage sur la danse québécoise « La danse comme paysage » d'Iro Valaskakis Tembeck, 2001, p.97

Une des rares mentions du métier de répétiteur dans un ouvrage sur la danse québécoise « La danse comme paysage » d’Iro Valaskakis Tembeck, 2001, p.97

Durant la pandémie, j’ai retrouvé le temps et le souffle nécessaires pour reprendre ailleurs ce que j’avais entrepris dans le cadre institutionnel. J’ai alors choisi de me rapprocher du vivant ; favoriser l’échange avec l’autre, ces autres dont le témoignage et les mémoires dites et palpables racontent le métier. D’abord, je suis allée à la rencontre de Ginelle Chagnon, Christine Charles, Isabelle Poirier et Annie Gagnon. Ces quatre artistes devenues sources d’inspiration, génératrices d’énergie et indispensables complices de mes recherches sont le cœur de ce projet. Grâce à ces alliées, j’ai pu imaginer un projet telle une avancée sur des sentiers embroussaillés et peu fréquentés donnant accès à une autre vue sur la danse québécoise. 

Ginelle Chagnon et Maude Archambault-Wakil Captation d’entrevue, décembre 2024 c. Sophie Michaud

Ginelle Chagnon et Maude Archambault-Wakil
Captation d’entrevue, décembre 2024
c. Sophie Michaud

Tracement convie à la rencontre d’artistes, au partage de récits, à la révélation d’objets, à la découverte d’indices, ce qui, je l’espère, stimulera l’écriture d’un chapitre à élaborer, à compléter, à parfaire, à enrichir… Tracement est certes l’aboutissement de mon obsession à faire connaitre et reconnaitre les artistes et les savoirs de l’accompagnement des projets chorégraphiques. Aussi et surtout, le projet se veut une invitation lancée aux chercheur·es afin qu’ici et possiblement ailleurs, s’engage un dialogue constructif sur une manière différente d’embrasser l’expérience du mouvement et de donner corps à la danse. Et ce, dans l’exercice d’un métier qui depuis le début du XXe siècle ne cesse de s’approfondir et d’évoluer.

Projet

Tracement : Artistes et pratiques de l’accompagnement chorégraphique

Coproduction

Imaginé par Sophie Michaud, le projet s’inscrit dans une démarche de valorisation des savoir-faire peu connus et reconnus quoique inhérents à la création en danse.  Tracement : un espace de mise en lumière, de dés-anonymisation d’artistes spécialisées dans l’accompagnement de projets chorégraphiques.   Espace de convergence des visions…

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