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« It’s happening! Oui, les interprètes créent les danses! »

Auteur·trice
Marie Claire Forté
Publié le
16 décembre 2019
Production
Fondation Jean-Pierre Perreault

Texte préparé pour ma participation à séance : « Implication des interprètes dans la création en danse : question de la cocréation. Qu’en pensent-ils, qu’en pensent-elles ? »
Marie Claire Forté, octobre 2019

Il me semble que je pourrais parler de l’interprète et de l’argent. Mais je veux parler de danse et de chorégraphie.

Un peu de contexte. J’ai bientôt 42 ans, je suis une femme blanche, née à Montréal, d’une famille de classe moyenne. La danse m’interpelle très jeune. Ma formation est en ballet classique, ensuite en danse moderne. Ma carrière est en danse contemporaine et expérimentale.

Jeune, je souhaitais devenir une danseuse polyvalente, capable de tout faire pour tout le monde, une sorte de pâte à modeler en chair et en os, qui se plie au désir du ou de la chorégraphe.

Mais comment devenir un outil pour combler le désir créatif de l’autre ? Et aussi, qu’allais-je faire du fait que je ne suis pas de la pâte à modeler, que j’ai mes propres désirs et exigences, et que les chorégraphes ne cernent pas tout le temps leur propre désir et que nos besoins et nos capacités changent de jour en jour ?

La pratique m’a vite appris l’impossibilité de mon aspiration. Je reconnais que cette aspiration était liée à mon éducation et à une histoire de l’art qui décrivait l’artiste comme être singulier, doué comme par magie. Un.e génie solitaire, apparu miraculeusement (et miraculeusement souvent un homme blanc), un vaisseau pour la création. Je voulais travailler pour un.e génie.

Mais la chorégraphie, c’est un art relationnel. Ça s’écrit entre nous.

Les chorégraphes émergent d’un contexte — il y a des questions de privilège, de réseau, de chance. Dans mon expérience, le.la chorégraphe crée les conditions nécessaires à l’existence d’une chorégraphie : cette personne met le projet en œuvre, invite les artistes, trouve les ressources et les occasions de présentations. Elle est auteure du contexte et de l’œuvre qui en émerge, et son nom est consigné à l’histoire. Alors l’interprète crée quoi, au juste ?

J’ai pensé décrire les quatre projets auxquels j’ai participé comme interprète en 2019 et ma notion d’auteur et d’engagement dans la création pour chacun, à partir du plus récent.

C’est dans la relation que ça se joue.

Aurélie Pédron a présenté son installation immersive Antichambre à l’Agora de la danse en septembre. J’ai été engagée comme interprète avec Annie Gagnon, Rachel Harris et David Rancourt et on est nommés ainsi sur le site web mais, sur place, on s’est désignés « artistes guides ». Antichambre invite le spectateur-participant à découvrir un espace lumineux, tactile et sonore avec des lunettes qui voilent la vue et un casque qui amenuise le son. Il y a un maximum de vingt personnes à la fois dans l’installation. Les artistes guides sont là pour guider — on n’est pas vus du spectateur. L’œuvre soulève des questions importantes et délicates autour du toucher et de l’intimité.

De quoi suis-je auteure dans Antichambre ? En création, on a beaucoup discuté des enjeux de la pièce : quoi fournir au spectateur pour l’outiller à l’autonomie dans un état vulnérable ? Comment interagir avec le public et comment soutenir les interactions entre les participants ? Comment répondre à l’inconnu chaque soir, puisqu’il n’y a aucune répétition — l’œuvre étant mise en corps par les spectateurs ? On a développé ensemble des lignes directrices, des valeurs, et des approches. On a cherché une rigueur éthique ensemble, en dialogue. Je demeure coauteure de toutes les interactions que j’ai eues dans Antichambre, dans la mesure où chaque interaction engageait une ou plusieurs autres personnes, donc coauteur.e.s.

Aussi en septembre, Louise Bédard a présenté Elle erre dans le songe, il respire ailleurs au Festival international de littérature, à la 5e salle de la Place des Arts. J’ai dansé ce duo avec Nicolas Patry. Je pourrais dire qu’une partie de la gestuelle est issue d’improvisations guidées, mais cela me semble simpliste comme description. C’est surtout comment je rencontre l’imaginaire très vaste de Louise et aussi celui de Nicolas où je me sens en création. Avec Nicolas, on a construit une relation réelle tissée au fil des répétitions. On a appris à se connaitre, et c’était volontaire de part et d’autre. Dans la danse, Louise nous abreuve avec une borne-fontaine d’images, de détails, de petits scénarios. Ma création, c’est ma rencontre avec la proposition chorégraphique, et c’est ce à quoi j’accorde de la valeur dans la danse (moi-même, Nicolas, l’espace réel, le mouvement en moi et entre moi, Nicolas et les spectateurs).

En mai, j’ai fait une présentation de fin de résidence à l’Agora de la danse où j’étais interprète en résidence en 2017 et pour cinq mois en 2019. (En 2018, j’étais en congé de maternité.) J’ai présenté cinq choses, dont deux chorégraphies.

La première est une recherche en duo avec la danseuse et chorégraphe Mairéad Filgate. Je l’avais invitée à venir me parler de sa pratique en studio et notre discussion a débouché sur un désir de créer et de danser ensemble. On a parlé de la notion d’auteur puisque même si la matière émanait uniquement de notre relation, je demeurais l’hôte du projet. Dans la danse, on prend soin de l’espace et des strates entre nous (visibles et invisibles), et on glisse entre le mouvement abstrait et quotidien. Ma création comme interprète, c’est peut-être la mise à nu de mon amitié et mon grand amour pour Mairéad et pour la danse que l’on partage.

La deuxième chorégraphie est une proposition que j’ai travaillée ponctuellement au fil de ma résidence avec différent.e.s artistes à partir du désir de danser sur deux chansons en même temps. Pour la présentation, j’ai invité Stacey Désilier, Claudia Fancello, Mairéad Filgate, Alanna Kraaijeveld et James Phillips à danser avec moi — ils avaient tous travaillé la question à un moment ou un autre avant nos répétitions. Andrew Tay a assemblé la trame sonore. J’ai nommé des valeurs et j’ai composé une partition de tâches portant sur notre relation à la musique, les relations entre nous et à l’espace. La gestuelle venait spontanément de chacun.e. Ici, je peux dire qu’il y avait une réelle confusion entre ma création comme chorégraphe et ma création comme interprète parce que je cherchais à mettre la chorégraphie au service de la danse. Donc de donner libre cours à ma créativité de danseuse, avec la contrainte de danser « sur » la musique.

Que ce soit dans mon propre cadre chorégraphique ou celui d’un.e autre, la danse est un espace de liberté et de création pour moi.

J’ai parlé avec les grandes danseuses et artistes Alanna Kraaijeveld et Sara Hanley en préparant cette présentation. On a parlé de bien plus que ceci parce que l’envergure de notre métier est énorme. Je nous admire.

Et comme communauté, je nous invite à continuer à parler de tous les artistes qui nous entourent, nous inspirent, participent à la création, y compris les interprètes. Comme exemple, je pense entre autres à la superbe danseuse Catherine Viau qui a fait un important travail pour la reconnaissance des interprètes, à l’Agora de la danse, et à Francine Bernier qui a créé la résidence d’interprète. Nommons les danseurs et les danseuses dans notre histoire aujourd’hui. Parlons de leur travail créatif quand on parle de chorégraphies.

 

 

on the picture : Barbara Kaneratonni Diabo and Marie Claire Forté

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