En complément des vidéos autour de Victoria de Dulcinée Langfelder, sa compagnie vous propose quatre courts textes sur des thèmes qui approfondissent notre compréhension de la pièce.
En complément des vidéos autour de Victoria de Dulcinée Langfelder, sa compagnie vous propose quatre courts textes sur des thèmes qui approfondissent notre compréhension de la pièce.
Lorsque l’on perd la mémoire, on peut perdre aussi le sens du « moi »; on ne se reconnait plus dans le miroir. Ainsi, les miroirs sont rares dans les lieux où demeurent les personnes qui perdent leurs facultés cognitives, car ils peuvent causer des malaises chez des personnes qui prennent leur reflet pour un étranger.
En traitant ce phénomène avec des ombres, la pièce aborde leurs dimensions symboliques. Dans certains dialectes en Amérique du Sud, le même mot veut dire ombre et âme. Dans certaines philosophies asiatiques, on dit que si son ombre se sépare de soi, ça veut dire qu’on est mort. À midi, lorsque le soleil est directement en haut et rend son ombre invisible, c’est un moment de grande sérénité.
Pour sa part, Karl Jung parlait beaucoup de l’ombre et disait qu’en vieillissant on peut devenir plus conscient du côté sombre de soi-même. Jung encourageait la confrontation avec l’ombre et l’acceptation de ce côté caché que l’on traine avec nous. Il disait qu’il était important de « digérer son ombre » … c’est pour ça que Victoria la mange, carrément!
Pendant la création de Victoria, Dulcinée allait souvent écrire dans un café. Un jour, elle y travaillait sur la scène dans laquelle Victoria confronte son ombre. Elle imaginait son personnage se tourner vers son ombre en lui disant : « regarde- moi quand je te parle ! » Dulcinée se tourne alors elle aussi vers le mur à côté pour vérifier l’échange et, à sa grande surprise, son ombre s’est tournée VERS elle. En effet, l’ombre n’a que deux dimensions; on ne peut pas distinguer si l’ombre tourne vers nous ou vers la direction inverse. Juste à ce moment-là, un de ses amis – un type costaud et quelque peu condescendant – la voit et lui dit : « Hé, Dulcinée, tu parles à ton ombre? Ce n’est pas une autre personne, c’est juste toi… je veux dire, c’est là où la lumière te frappe… là où tu bloques la lumière… enfin, c’est très simple! Il n’y a rien de mystérieux, c’est juste une ombre! » C’était un peu gênant… mais bien drôle.
LA SOEUR ET LA GRAND-MÈRE
Au début de la pièce, on voit que Victoria parle à son ombre, la prenant pour sa sœur. Dans cette scène, il s’agit des vraies ombres.
Mais plus tard, lorsqu’elle se rappelle sa grand-mère, l’ombre ne fait pas la même chose que Victoria (spoiler : c’est une vidéo !). Ici commence l’ombre qui guide et accompagne notre héroïne vers la fin de sa vie.
LA SCÈNE DU BAIN
La scène du bain est inspirée d’un moment décrit par un vrai préposé aux bénéficiaires qui se rend compte, pendant une fraction de seconde, que la personne qu’il est en train de toucher intimement n’est pas juste une patiente, c’est une femme. Par le jeu d’ombre, on magnifie cette fraction de seconde et on plonge dans cette intimité inévitable dans la relation entre soignant et soignée.
LE CORPS SUBTIL
Dans la scène qu’on appelle « le corps subtil », l’ombre devient Kali, la déesse hindoue de la naissance et de la mort. Victoria, attachée et prisonnière de son fauteuil, voit son corps subtil, le macrocosme et l’inévitabilité de son destin.
Créé en 1999 pour la scène, l’œuvre est transposée en film en 2022. Pendant 20 ans de tournée internationale, des milliers de témoignages de partout l’ont confirmé ; Victoria touche le spectateur droit au cœur et leur apporte une nouvelle capacité de tolérance.
Victoria, 90 ans, a perdu la mémoire. Elle a perdu sa chatte et le contrôle de sa vie. Dans son monde, le temps n’existe pas; les souvenirs sont aussi réels que le présent. L’ombre d’elle-même, Victoria est un personnage, une artiste de la scène qui, oubliant son rôle, s’adapte aux situations dramatiques, comiques ou poétiques selon les méandres de son imagination. Le préposé qui en prend soin devient pour elle, tour à tour, son ami, son adversaire, son père, son amoureux… tandis que son fauteuil roulant, devient sa berceuse, son partenaire de tango, sa prison, et même un charriot volant qui l’emporte, jusqu’au dernier souffle.