Un projet imaginé par Pierre-Marc Ouellette :
Mon entrée dans le milieu de la danse contemporaine montréalaise en 2002 coïncide avec le décès de Jean-Pierre Perreault. Figure mythique qui a profondément impacté la carrière et la vie de mes enseignants, je connais principalement l’homme à travers ce que l’on m’a dit de lui. Malgré cela, j’ai l’impression de porter dans mon corps des traces de son œuvre (sans trop savoir ce que ces traces représentent). Si Perreault a marqué la vie et le parcours professionnels de plusieurs interprètes de renom, il a aussi influencé toute une génération de chorégraphes. Aujourd’hui, tandis que ma vie créative s’organise autour de la chorégraphie, je ressens l’ombre portée de Perreault. C’est dans l’intention de questionner cette ombre que je propose de réaliser le projet Archive fantôme.
Ce projet de recherche et de création a pour but d’invoquer le fantôme de Perreault à travers la constitution d’une archive imaginée. Pour ce faire, j’aimerais d’abord effectuer une plongée (lectures, visionnement de photos et vidéos) dans les archives d’Espace Perreault Transmissions chorégraphiques, anciennement la Fondation Jean-Pierre Perreault, afin de saturer mon esprit d’inspirations. Puis, je souhaiterais conduire des entrevues auprès de trois figures (1) importantes dans mon parcours artistique pour interroger l’apport de Perreault dans leurs univers créatifs respectifs. Ensuite, je voudrais investir de manière exploratoire l’édifice Jean-Pierre Perreault, lieu qui serait habité du fantôme de Jean-Pierre. Enfin, je vise aller en studio pour travailler avec des interprètes et des chorégraphes d’une plus jeune génération dans l’idée de transmettre des fragments du legs de Perreault, ainsi que les informations colligées au fil de cette recherche : des principes créatifs, des inspirations gestuelles, des textures de mouvements, des sensations, etc.
Toutes les étapes de la recherche, qui se dérouleront sur quelques semaines au printemps 2024, seront captées en vidéo. La finalité du projet prendra la forme d’une courte œuvre documentaire dans le style d’un carnet-vidéo. À noter, le projet est toujours en conceptualisation ; incidemment, l’équipe de travail n’est pas encore constituée et je n’ai pas encore contacté les artistes qui interviendraient. De façon préliminaire, Nicolas Bernier (compositeur musical), Manon De Pauw (photographe/vidéaste), une caméramane, et les interprètes/chorégraphes Charles Brécard, Philippe Dépelteau, et Stacey Désillier sont pressenti. e. s.
Dans le brouillard, des corps sont apparus
Au fil de mon parcours de maîtrise, qui s’est déroulé pendant la pandémie, j’ai dû repenser mon projet final pour que mon jury puisse évaluer le fruit de ma recherche sans pouvoir y assister. Par contrecoup, j’ai développé un goût pour la documentation et la captation vidéo. En même temps, j’ai créé trois capsules de vidéo-danse destinées à faire vivre la danse sur les réseaux sociaux pendant le confinement. Produites avec des moyens réduits, ces capsules ont connu un vif succès, et m’ont valu des commentaires généreux. J’y ai découvert le pouvoir de médiation des réseaux sociaux, et l’envie d’investir et raffiner mon approche en vidéo.
Quant à l’idée de la constitution d’une archive imaginée, elle entre en lien avec une méthode de recherche et de création avec laquelle j’expérimente depuis peu. Cette méthode laisse libre cours à l’émergence de l’inspiration dans un esprit de découverte et de disponibilité. Les paramètres de créations sont ouverts, parfois flous, et se définissent et se raffinent en cours de processus. Dans ce processus, l’accumulation d’informations forme un tout pêle-mêle, un brouillard créatif dans lequel les acteur.e.s du projet acceptent de plonger en travaillant à bâtir des liens inusités, ou en animant leurs corps de façon intuitive.
De Perreault à Boissinot, Boivin, Desnoyers, jusqu’à mon corps, il se dessine une généalogie créative. Rendu au mi-temps de ma vie, je deviens un vecteur de transmission dans cette chaine alors que mes activités d’enseignants prennent de plus en plus d’importance. Aussi, au moment où la chorégraphie se confirme comme la nouvelle voie de ma carrière de praticien, il me semble primordial d’ouvrir un terrain qui me permettra d’interroger ma filiation artistique, et, par ricochet, offrir à une génération plus jeune que la mienne une occasion de se frotter au legs créatif de Perreault.
Enfin, dans ce projet, le corps est vu tel l’« hôte de forces fantomatiques » : les traces réelles ou imaginées du travail de Perreault. Dans le flou du brouillard créatif, chaque personne investie dans la recherche sera appelée à faire apparaitre ces traces par la parole ou le mouvement. De façon ironique, les corps d’Archive fantôme sont considérés comme les véhicules d’un « savoir incarné » et d’une archive bien vivante (2).
(1) Lucie Boissinot, Marc Boivin, et Danièle Desnoyers sont artistes en danse, chorégraphes et interprètes phares dans la compagnie de Jean-Pierre Perrault. Ils sont également les personnes qui ont le plus marqué mon parcours. Au fil de ce parcours, ils ont exprimé l’incidence de Perrault dans leurs vies et carrières. Je souhaiterais conduire des entrevues avec ces dernier. e. s, et selon leurs disponibilités et leurs envies.
(2) Les idées étayées dans ce paragraphe ont été inspirées du texte « The Holding Space : body of (as) Knowledge » des autrices Sally Doughty, Lisa Kendall et Rachel Krische. Trouvé en ligne : <https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-44085-5_6>