Comme une prière à mes ancêtres

Marion Landers, danseuse de Mozongi en 2000 et en 2001

Mozongi n’est pas seulement une pièce, c’est tout un entraînement qui aborde la danse africaine d’une manière résolument différente de celle que j’avais apprise auprès d’autres compagnies davantage axées sur l’apprentissage des danses folkloriques et des chorégraphies contemporaines. La démarche de Zab Maboungou propose une approche à la fois philosophique et historique de la formation technique. En ce sens, Mozongi représentait pour moi un nouveau mode d’entraînement en danse.

Après avoir suivi des classes de ballet pendant dix ans, j’ai obtenu un bac en danse contemporaine à Vancouver. J’étais une bonne danseuse mais mon corps ne convenait pas aux standards de la danse professionnelle. Or, ces barrières ont disparu quand j’ai commencé à danser pour des compagnies de danse africaine contemporaine. J’ai alors dansé pendant sept ans à Vancouver pour une compagnie afro‑brésilienne contemporaine. Ce fut un cadeau de travailler dans un environnement où tout ce qui avait jusqu’alors été considéré comme un désavantage devenait un atout. Danser pour une compagnie professionnelle représentait une victoire pour moi et pour ma famille, qui a investi dans ma formation en danse.

Sur la recommandation d’une danseuse de Québec, j’ai envoyé une vidéo d’audition à Nyata Nyata et j’ai été invitée pour danser Mozongi à la Place des Arts. Je suis arrivée à Montréal à l’automne 1999. Ce fut une expérience immersive, car je vivais avec un ami de la famille de Zab et travaillais toute la journée pour l’agence de diffusion qui représentait la compagnie et, le soir, je m’entraînais à Nyata Nyata. C’était difficile parce que nous répétions en soirée, de dix-neuf à plus de vingt-trois heures, mais j’étais jeune et j’avais beaucoup d’énergie.

J’ai toujours été bonne en rythme. J’adore les combinations rythmiques, comme la séquence du saut, dont la partition rythmique est très sophistiquée. Le « Tin’ tilin tin’ kiti, tin’tin’tin’ litin’ kiti ! » est une phrase de mouvement dans laquelle j’ai excellé. Tu dois tenir sur les demi-pointes comme suspendue par le haut du corps et en même temps travailler le jeu des pieds tout en restant dans cette posture pendant une éternité! Cette séquence nécessite un mélange d’exactitude et de relâchement. Quand tu trouves la posture, c’est magique. Sinon, c’est une véritable souffrance !

 

Marion Landers. Photo : Marc Verret, 2000

 

Cette pièce constitue également une victoire pour moi qui souffrais d’asthme. Cependant, Mozongi exige de maîtriser et de gérer sa respiration ! Je devais danser cinquante minutes sans interruption, alors qu’avec les compagnies pour lesquelles j’avais dansé auparavant, je pouvais me reposer hors-scène entre deux parties pendant que d’autres prenaient le relais. Avec Nyata Nyata, je devais maintenir en permanence mon énergie et surveiller mon souffle. La respiration est un élément important de la chorégraphie, car elle affecte le mouvement si elle n’est pas gérée correctement. Zab enseigne une technique pour doser sa respiration en fonction de chaque mouvement. Elle m’a donné des clés pour respirer en accord avec chaque mouvement. Cette technique de respiration est un cadeau que j’utilise encore continuellement dans ma vie.

Mozongi représente un défi à la fois physique et mental. Cette pièce exige une certaine maturité, car c’est un travail dans lequel on doit se donner complètement. Il ne s’agit pas simplement d’exécuter des mouvements préparés d’avance. C’est beaucoup plus que ça ! Il s’agit de comprendre la danse à différents niveaux : physique, philosophique, historique. Mozongi signifie en lingala « ceux qui reviennent ». Cela pose la question suivante : « Qui sommes-nous dans l’espace et le temps, et d’où revenons-nous ? » J’avais vingt-trois ans et j’étais sans doute trop jeune pour tout comprendre, mais je sentais que ce travail était très important au niveau de la spiritualité. En l’interprétant, j’assumais une responsabilité vis-à-vis de mes ancêtres africains. Je ressentais un lien profond avec elles et eux en incarnant cette oeuvre. Au début de chaque performance, je priais mes ancêtres africain·es, indonésien·nes et européen·nes de m’aider pendant une heure. S’iels avaient survécu à leurs souffrances, alors je pouvais traverser l’oeuvre ! Dès le début du spectacle, je me souviens que nous entrions sur scène, allongées au sol, dans l’obscurité, tout doucement, pour commencer le premier mouvement « krati krati ». Je ressens encore toute la force, l’anticipation, l’espoir et l’inspiration contenues dans ce tableau qui résonnait pour moi littéralement comme une prière.

Mozongi représente l’affirmation de mes héritages africains. Mon père vient d’Afrique du Sud et ma mère est Canadienne d’origine irlandaise. Les deux côtés de ma famille ont subi des oppressions. J’ai dansé pendant une dizaine d’années pour trois compagnies afrocontemporaines, deux à Vancouver, une à Montréal, et j’ai chorégraphié dans ce style pendant une autre dizaine d’années. Chaque « nyata », chaque pas que j’ai pris en direction de mon héritage africain représente à la fois une surprise et une fierté pour ma famille d’Afrique du Sud traumatisée par l’Apartheid.

Ce qui me reste de Mozongi est un profond sens de connaissance d’une technique. La séquence des ondulations finales contient selon moi les principes de tous les mouvements précédents, avec les pieds. C’est un mouvement qui recommence, et pourtant c’est la fin. Cet espace permet de se reconnecter avec la terre. Zab Maboungou, Mozongi et Nyata Nyata représentent une expérience fondamentale dans ma vie dont je suis profondément reconnaissante.

Depuis mon retour à Vancouver, j’enseigne la danse africaine contemporaine à l’université. J’ai créé un cours qui s’appelle « Introduction to African Dance Forms » à partir des différents modes d’expression que j’ai étudiés : l’afro-brésilien, les danses de l’Afrique de l’Ouest, le RYPADA et l’afro-contemporain. J’inclus des éléments de Mozongi dans mon enseignement. Par exemple, le moment du « krati krati » représente un travail du sol spécifique qui fournit aux danseur·euses une technique pour comprendre notre relation à la terre et au ciel.

 

Boîte chorégraphique Mozongi

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