Une écoute profonde

George Stamos, danseur·euse de Mozongi de 2014 à 2017

tun kata kutun kataka ! tun kata kutun kataka !… Je me souviens principalement de ce rythme. Il s’agit aussi d’un jeu de jambes et d’un mouvement de l’ensemble du corps. Le Tun est un pied bien ancré au sol. Et puis, il y a une petite envolée : Te-ta-te-ta-ta-ta ! C’est un travail très sophistiqué qui s’inscrit à la fois dans le sol, dans le corps et dans l’air. Quand je pense à Mozongi, je pense à la partie la plus profonde de la terre pour me donner de l’énergie. Ces rythmes persistent et demeurent ancrés en moi, comme un battement de coeur qui demeurera toute ma vie. tun kata kutun kataka !…

J’ai dansé Mozongi après Montréal by Night, pour célébrer le vingt-cinquième anniversaire de Nyata Nyata en 2014. Cette pièce représentait un grand défi pour moi en termes de travail percussif au sol, qui consistait à ne pas comprimer mon corps tout en approfondissant l’ancrage avec le Lo (du lokéto) et les niveaux. Quelques années plus tard, alors que Zab cherchait des danseur·euses pour reprendre la pièce à l’occasion d’une tournée, je lui ai dit que Mozongi concernait « ceux qui reviennent », et non pas « ceux qui partent », et qu’elle devait donc me reprendre. Je suis donc revenu·e dans la compagnie entre 2016 et 2017 pour la tournée de Mozongi à travers le Canada.

 

Luis Cabanzo, Karla Étienne, Gama Fonseca, George Stamos, Mithra Myth Rabel.
Photo : Kevin Calixte, 2016

Zab est une philosophe, un maître, avec qui tu engages toujours une conversation stimulante. C’est ce qui m’a attiré·e vers elle, tant comme personne que comme artiste et enseignant·e. Je l’ai rencontrée lors d’une vitrine à la Place des Arts, puis au sein d’un jury du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Nous avions nos propres perspectives et partagions beaucoup de points de vue, en plus d’habiter dans le même quartier !

Lorsqu’il y a eu des auditions pour sa compagnie, je me suis présenté·e, bien qu’ayant peu d’expérience en danse africaine, parce que Zab m’inspirait. Je suis ravi·e qu’elle ait vu mon potentiel et m’ait m’engagé·e. En travaillant avec Zab, j’ai constaté que certains types de danse issus des cultures et des mouvements afro-descendants étaient ancrés dans mon corps depuis ma jeunesse, notamment à travers ma fréquentation des clubs et des fêtes, mais que j’avais encore énormément à apprendre sur la technique et la signification culturelle de ce langage. J’ai ainsi suivi une formation dans son école, d’environ douze heures de cours par semaine, en plus de travailler pour Nyata Nyata avant et après les cours.

J’ai senti que je pouvais soutenir le travail de Zab en tant qu’interprète et cela a été très enrichissant, car après quinze ans de carrière en tant que danseur·euse contemporain·e à Montréal, je m’ennuyais dans certains des spectacles dans lesquels je dansais et je cherchais à être stimulé·e artistiquement et intellectuellement. Selon moi, le travail d’interprète consiste à appuyer le projet artistique, quel qu’il soit et du mieux qu’on peut. Or, c’est beaucoup plus facile lorsque nous sommes relié·es politiquement et intellectuellement à la pratique d’un·e chorégraphe, comme je l’ai été avec Zab.

J’avais besoin d’un changement parce que je ne me sentais plus capable de porter certaines des oeuvres pour lesquelles j’étais engagé·e ! Devenais-je trop âgé·e pour être danseur·euse ? Ce qui me gênait, c’est qu’entre le chorégraphe et le danseur, il y avait une relation parent/ado qui, à la fin de la trentaine, ne me semblait ni saine ni authentique.

tun kata kutun kataka !… Ce rythme est présent à la fin de la pièce mais traverse aussi plusieurs sections avec des variations. Je n’ai pas dansé cette pièce depuis des années, ce rythme ne m’a pour autant jamais quitté. C’est le thème principal de la pièce et celui que j’ai sans doute le plus travaillé. Il nécessite de maintenir un tel ancrage et une telle légèreté qu’il demande à la fois beaucoup d’écoute et un maintien constant de l’ouverture. Il ne s’agit pas d’une expression ni d’une libération, mais d’une écoute profonde.

À la fin de la pièce, quelque chose se libère dans le corps. J’ai senti un espace s’ouvrir, à la fois aux niveaux métaphysique et physique, une sorte de liquide qui s’écoule comme si tu avais creusé si profondément que tu atteignais la lave ou le noyau. Il y a une chaleur… Cela ressemble à une fusion que l’on pourrait appeler une libération. J’ai eu l’impression de pouvoir fredonner la chorégraphie, alors que jusque-là, j’avais la sensation de devoir calmer mon corps pour l’informer que je n’étais pas en train de faire un arrêt cardiaque ! Ton coeur se met à battre si vite ! Accéder à la légèreté avec précision et ancrage constitue un véritable plaisir en tant que personne, en termes d’expérience comme en termes de sensations. J’ai pu utiliser cette technique solide que Zab nous a enseignée pour survivre à l’exigence de l’oeuvre.

 

Boîte chorégraphique Mozongi

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