Mona El Husseini, danseuse de Mozongi en 2024
Je n’avais jamais vu Mozongi avant de l’interpréter, mais j’avais suivi des cours avec Zab. Pour moi, cette pièce, Zab et Nyata Nyata ne sont pas des éléments distincts, ils sont superposés. Et ils continuent de se moduler à mesure que je passe du temps à répéter et à apprendre avec Zab le détail des gestes, le processus d’affinement du mouvement et les nuances du rythme. Cet aspect du rythme en particulier et la façon multidimensionnelle dont Zab l’enseigne est difficile pour moi parce que c’est nouveau. Un moment d’hésitation revient sans cesse quand je pense que j’ai compris quelque chose et que je peux enfin me sentir à l’aise, car je découvre toujours une nouvelle couche à approfondir.
Cette clarification des gestes m’interpelle, car c’est un aspect sur lequel j’avais envie de travailler depuis longtemps. Comment observer la différence entre chaque geste ? Comment une légère nuance peut modifier le poids et ouvrir une signification complètement différente ? Ce travail m’aide à être à l’aise avec mon indépendance au sens où je sens que je peux faire confiance à mon corps, à mon timing et à mon intuition, malgré mon esprit qui tend à les remettre en question. Le corps est le seul lieu où différents éléments peuvent coexister et trouver un équilibre. Cette idée d’être à la fois indépendante et en relation avec les autres me permet d’exister dans l’espace de manière autonome et singulière tout en me connectant au rythme et à la présence des autres.
Il y a quelque chose de martial dans la partition de Mozongi comme dans la présence. Je me suis un peu entraînée aux arts martiaux en Égypte : la force et la linéarité coexistent avec des mouvements plus doux et circulaires. La séquence des canards est ainsi l’une de mes préférées, car elle juxtapose un mouvement de force où les bras sont anguleux avec les paumes tournées vers le corps, puis les mains s’assouplissent tout en conservant la puissance et le sens du geste. Outre sa polyrythmie, cette séquence opère un voyage dans l’espace tout en composant une musique dans le silence.
Mozongi me relie à mon passé et, par extension, à mes ancêtres. J’ai un curieux désir de connaître mes ancêtres dans mon travail de création personnel. J’ai pris l’habitude d’interroger ma mère et mes parents vivants à propos de ceux qui sont décédés et que je n’ai pas rencontrés. Je cherche à trouver des moyens de communiquer avec eux, à travers les objets qu’ils utilisaient au quotidien, pour mieux concevoir comment ils vivaient.
La première fois que je suis venue à Nyata Nyata, c’était pour participer à l’atelier Tambours et danses. Je m’y suis instantanément sentie chez moi. Le sentiment de chaleur qui règne dans le studio me rappelle l’Égypte où je vivais et où j’ai appris la danse contemporaine. Il s’agit d’une chaleur littérale mais aussi d’une chaleur métaphorique perceptible chez les gens, dans l’espace, avec les professeur·es, les musiciens et les danseur·euses. J’ai ressenti cette affinité. Et ça a été un soulagement de trouver un endroit qui me permette d’accéder à une familiarité à laquelle je n’ai pas nécessairement accès ici au Canada.
La marche dans Mozongi représente la partie la plus difficile pour moi. Tout d’abord, c’est le début de la pièce qui correspond à un moment où je pense avoir besoin de me montrer : quand j’entre en scène. Il s’agit donc pour moi de la partie la plus vulnérable de la pièce, parce que je suis debout et, pour une raison quelconque, quand je suis debout, je me sens moins à l’aise que lorsque je suis près du sol. Enfin, cette marche engage mon propre rapport au rythme des tambours et à celui des autres corps. Ce n’est pas différent de ce qui se passe dans ma vie personnelle, c’est pourquoi ce tableau est assez dense pour moi !
Enfin, le travail de Mozongi accroît ma conscience, car je dois être attentive à tout ce qui se passe, alors que beaucoup d’éléments se jouent en même temps. L’engagement envers la présence est vraiment renforcé et cette hyperconscience empêche mon esprit de vagabonder ou d’être distrait. Alors que dans d’autres pièces qui ne sont pas aussi exigeantes physiquement ou dans lesquelles je n’ai pas besoin d’être présente dans plusieurs dimensions, mon esprit commence à prendre le dessus sur mon corps. Ce n’est pas le cas dans Mozongi où mon corps prime, tout comme l’intuition, le sens du timing et l’empathie.