Une jouissance irradiante

Kristina «Kriss B» Brown, danseuse de Mozongi en 2024

Quand je pense à Mozongi, le mot « retour » me vient en tête. D’une part, c’est une traduction possible. D’autre part, parce que le retour est continuellement vivant. Que tu fasses un mouvement ou un pas, il y a toujours un roulement continuel, une renaissance en soi. Ce qui résonne le plus pour moi dans Mozongi se situe en dehors de la chorégraphie, en dehors de la pièce elle-même. En ce moment, je suis le programme PEFAPDA. L’une des premières discussions que nous avons eues en cours a porté sur l’importance des gestes, des mouvements et du rythme, et sur la manière dont ils sont entrelacés, comment ils vivent et comment les danseur·euses leur donnent vie.

Kristina « Kriss B » Brown. Photo : Carson Asmundson, 2024

Kristina « Kriss B » Brown. Photo : Carson Asmundson, 2024

Mozongi travaille dans mon corps comme une boucle : ce qui s’est passé dans mon enfance revient, c’est un retour constant, mais une évolution continue. D’un point de vue chorégraphique, Mozongi commence d’une certaine manière et ensuite, tu reviens constamment dans ce mouvement qui évolue : que les mouvements deviennent de plus en plus intenses ou de plus en plus forts, les séquences précédentes sont toujours présentes. Comme dans mon parcours, où tout m’a conduit à cette oeuvre.

Ma première image de Mozongi a d’abord été une affiche accrochée dans le studio Nyata Nyata représentant un saut incroyable des danseur·euses avec les jambes groupées. Cette capture d’image dans les airs est magnifique : les danseur·euses sont aligné·es dans la même position et j’imagine la force nécessaire pour parvenir à un tel mouvement.

Un de mes amis faisait référence à Zab chaque fois qu’il parlait d’ancrage. Maintenant que je suis à Nyata Nyata, je comprends qu’il y a différents appuis et niveaux. Avant d’aller suivre mon premier cours, j’avais vu le solo Wamunzo. C’était abstrait pour moi, avec des mouvements complexes et précis. Je ne comprenais pas ce que c’était, mais il y avait une telle présence sur scène ! Après le spectacle, j’ai parlé aux étudiant·es du programme qui m’ont tous·tes dit : « À demain ! » Or, le lendemain correspondait à un cours réservé aux étudiant·es du PEFAPDA et non à celui auquel je m’étais inscrite ! Alors j’ai répondu : « Non, je ne fais pas partie du programme, on se voit mardi ! » Le lendemain, alors que je travaillais de la maison, j’ai finalement fermé l’ordinateur, pris mon chargeur et couru prendre le bus pour aller au studio ! Après le cours, j’ai rouvert mon ordinateur portable pour continuer à travailler. J’ai dit à ma superviseure que ma connexion Internet avait été interrompue. Depuis, je l’ai avisée que je suivais ce programme et que je devais, pour cette raison, travailler à temps partiel. Elle a été très favorable à cela.

Mon entrée à Nyata Nyata correspond à un véritable appel. Ma participation au programme m’engage pleinement dans ma croissance personnelle. Mon objectif consiste à me connecter à mes racines. Je veux apprendre l’histoire africaine en dehors de ce que j’ai appris en classe. L’esclavage afro-américain et le mouvement des droits civiques aux États-Unis, c’est tout ce que je connaissais. J’ignorais les richesses de la culture africaine avant la colonisation ; c’est une part de l’enseignement que je reçois du programme et de mes conversations avec mes collègues.

Être à Nyata Nyata et m’engager dans ce travail nourrit un lien profond avec mon héritage. Cette énergie, ce carburant, cette chaleur que vous ressentez quand vous soulevez pleinement tout votre corps et piétinez, c’est votre lien avec l’ascendance. Vous appelez le sol, vous appelez votre corps à être là. Il rayonne, vous ramasse et vous capte. Il y a d’ailleurs dans la pièce un des mouvements qui « ramasse » notre corps, comme dit Ma Zab. C’est un de mes mouvements préférés : on pense qu’on est sur le point de s’allonger et de dormir, mais on remonte de l’autre côté, à 180 degrés. C’est tellement satisfaisant de me relever, de m’allonger et de me relever à nouveau ! Mon corps revient, fort et présent. C’est un retour ! C’est un mouvement fou !

Ce qui me nourrit dans ce mouvement, c’est également ce que je trouve le plus difficile dans la pièce. Toute la difficulté de Mozongi consiste à rendre le corps réceptif aux chants. Les rythmes de mon corps doivent correspondre à ces rythmes et s’adapter au chant. Tout ce que nous faisons dans Mozongi, incluant la marche, la présence, l’énergie, le timing et le tambour, est littéralement du travail. Ce que j’apprécie dans l’approche chorégraphique de Ma Zab, c’est cette approche de la vie et du travail. Il ne s’agit pas de savoir si le mouvement semble bien exécuté de l’extérieur, mais de me soutenir intérieurement pour me conduire à une jouissance irradiante.

 

Boîte chorégraphique Mozongi

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