Tout est déjà dit, tout est là

Aïchatou Erna Labarang, alias Ïntuïtv, danseuse de Mozongi en 2024

Marcher représente un défi pour moi, dans la pièce comme dans la vie. Car la marche ne se limite pas à la scène. En tant que danseuse, j’ai souvent cette illusion qu’on me regarde seulement quand je suis sur scène, mais en réalité on me regarde dès que je marche. Tous les jours, on marche pour aller au travail ou faire des courses. Quand tu entres dans une pièce, on observe ta posture, ton regard et, même, comment tu en sors. Quand on croise une personne, des conversations s’échangent. Mon corps reçoit des messages. Parfois, il se crispe, d’autres fois, il se détend. Je dois toujours être prête à marcher, à observer les gens autour de moi, à partager l’espace, à m’habiter entièrement et à porter le regard partout où je vais. Marcher n’est pas aussi simple ! Il ne suffit pas de mettre un pied devant l’autre ! Je réalise que je marche souvent avec ma tête, au lieu de redescendre dans mes pieds. Il y a toujours un moment où les choses s’alignent, où tout se place, où chacun·e se confirme. Mozongi m’apprend à accepter que, dans ma marche, tout est déjà dit, tout est là.

Traduire Mozongi par « retour » fait donc sens pour moi car je suis dans un processus de retour. Nyata Nyata matérialise à ce titre un environnement que j’ai toujours recherché et auquel je n’ai pas tant eu accès depuis que je vis au Canada. Au niveau du mouvement, j’ai toujours aimé voyager à travers différents styles. Depuis dix ans, je me situe davantage du côté du hip-hop, dans divers types d’expressions comme le waacking et le dance hall. Or, en prenant des classes à Nyata Nyata, je découvre des sensations que j’aime à travers le mouvement.

Mozongi me renvoie à mes souvenirs du Cameroun. Cette pièce correspond à un retour à la maison, un retour à un sens du soi, un retour à réhabiter mon propre corps. Le mouvement du thème 2, par exemple, m’a littéralement attrapée, car c’est ainsi que mes oncles et mes tantes bougent dans les soirées avec la famille. Je reconnais cette qualité de mouvement dans un univers où je la rencontre rarement. Cette qualité de mouvement ne réside pas simplement dans l’exécution d’une posture ou dans l’imitation d’un mouvement. Quand j’ai dû l’incarner, j’ai réalisé que j’étais dans le mauvais sens. Je me retrouve face à un défi, mais il s’agit d’une recherche réconfortante. Danser cette pièce aujourd’hui complète pour moi un full circle.

 

Aïchatou Erna Labarang, alias Ïntuit, Daniel Diaz. Photo : Carson Asmundson, 2024

 

Danser Mozongi me travaille mentalement autant que physiquement : c’est ce qui m’a surpris·e, mais c’est aussi ce que je recherchais. Cette oeuvre met beaucoup de choses en mouvement pour moi et fait remonter à la surface des choses que, sans faire exprès, j’avais mises de côté. À aucun moment dans la pièce, il y a une partie de soi qui n’est pas en mouvement ! Dans Mozongi, je bouge comme je n’ai jamais bougé ! Cette pièce met des choses en lien : comment je pense par opposition à comment je bouge. Ma perception et mon appréciation du mouvement changent complètement. Mozongi me rappelle que rien n’est définitif. Tout bouge, tout change et on s’adapte. Les choses prennent une certaine forme, il y a une structure et en même temps, un certain chaos. C’est toute une danse en soi ! Je découvre une tranquillité dans le bruit et le chaos. C’est ce que Mozongi bouge en moi. J’apprends à rester au centre et à continuer d’avancer.

La partie des kratikratikra, au sol, me permet de me déposer. Ce contact avec le sol met mon corps en action. Tout mon corps marche : mes coudes, mes hanches, mes genoux, mes talons, mon cou et ma tête me déplacent. C’est une pensée en mouvement, un va-et-vient.

J’ai entendu parler de Nyata Nyata par des personnes qui avaient suivi la formation. Juste en consultant le site internet de la compagnie, la description de la compagnie m’appelait littéralement. Tout ce que je recherchais était inscrit là, sous mes yeux ! J’ai manqué l’audition, mais quand la session a commencé, je suis venue suivre une classe. Aussitôt après, j’ai demandé à Ma Zab d’intégrer le programme. Rien d’autre ne faisait sens pour moi à ce moment-là. Tout ce qui est ici me confirme chaque jour ce pourquoi je suis là. C’est une rencontre qui devait avoir lieu. Nyata Nyata était déjà dans mon parcours mais je ne m’en étais pas encore rendu compte. Quand j’ai répondu à l’appel, tout s’est aligné.

 

Boîte chorégraphique Mozongi

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