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Bras de plomb de Paul-André Fortier activé dans l’initiative MAGDANCE 5 art + dance + archive de la Mackenzie Art Gallery

Auteur·trice
Gabrielle Larocque
Publié le
6 février 2024

Le spectacle, une fois le rideau tombé, existe dans un second degré de lui-même[1]. Dans le cas qui nous occupe ici, ce second degré émerge à Régina / Oskana kâ-asastêki (amas d’os), territoire traditionnel et contemporain des peuples Cree, Saulteaux, Lakota, Dakota et Nakota, ainsi que terre natale de la nation Métis, le temps d’une exposition. En effet, l’œuvre Bras de plomb (1993), ou plutôt sa vie post-spectacle, est l’objet de la cinquième édition de l’évènement MAGDANCE, un partenariat entre l’institution d’art Mackenzie Art Gallery (MAG) et celle de danse contemporaine New Dance Horizon (NDH), programmée entre le 26 août et le 1er octobre 2023. Au cœur de cet évènement ruissèlent les points de vue particuliers de plusieurs personnes aux perspectives diverses, toutes contributives d’une proposition importante dans le paysage du patrimoine des arts vivants. D’ailleurs, comment fonctionne ce dernier et en quoi ses fondements permettent-ils à différents points de vue de se rencontrer? Quels sont les modes de productions de la connaissance qui lui sont intrinsèques? Ces interrogations guident la réflexion présentée ici.

©Daniel Paquet
Vue de l’initiative MAGDANCE 5 art + dance + archive, au moment de la sortie de résidence en présence des publics, le 1 er octobre 2023 ©Daniel Paquet - photo.paquet.ca

La MAG

La MAG est une institution d’art dont le rôle est à la fois situé dans une volonté d’engager ses publics dans une expérience transformative à travers l’art[2] tout en servant, grâce à ses multiples soutiens financiers publics et privés, d’encyclopédie d’art et de culture visuels. Elle ouvre ses portes en 1953 et devient indépendante de l’Université de Régina en 1990. Ses collections totalisent environ 5000 œuvres qui racontent 5000 ans d’histoire, et entre autres espaces, elle offre trois salles d’expositions. Elle est historiquement reconnue pour défendre l’art autochtone comme art contemporain en tant qu’institution non autochtone alors qu’elle fut la première institution canadienne publique d’art à nommer une conservatrice autochtone (Lee-Ann Martin, 1998).

 

NDH

Co-fondée en 1986 par Robin Poitras et Dianne Fraser, NDH est une compagnie de danse dédiée à la diffusion d’œuvres mais, également à l’enseignement, à la création et à la production. NHD est reconnue pour son engagement auprès de la communauté saskatchewannaise de la danse et pour sa vision artistique aventureuse. Depuis 2020, Robin Poitras partage la direction artistique avec l’artiste en arts visuels Edward Poitras, membre de la Première Nation George Gordon. NDH soutient l’incontestable mouvance des formes de danses contemporaines dont la chorégraphie, la danse, l’action et l’acte[3].

 

Bras de plomb (1993)

Entre ces deux institutions jaillit l’œuvre du chorégraphe québécois Paul-André Fortier, née d’une rencontre entre ce dernier et l’artiste en arts visuels canadienne Betty Goodwin. Un véritable dialogue de création s’est alors établi entre les deux artistes autour du corps et de la condition humaine. Organisée en quatre tableaux (1- Bras blancs, 2- Bras entravés, 3- Bras de plomb, 4- Bras d’or), la chorégraphie fut reconstruite, transmise à l’interprète Simon Courchel et reprise dans sa version intégrale en 2011-2012, l’occasion également de produire une Boite chorégraphique[4] à son sujet.

 

Développé par Espace Perreault Transmissions chorégraphiques, la Boite chorégraphique est un outil de documentation et de préservation spécifique à la chorégraphie. Elle permet de découvrir les chemins empruntés lors de la création, de la production et de la diffusion de l’œuvre et favorise la compréhension, la transmission, la recréation voire l’étude de la danse. S’ouvrant comme un livre, elle rassemble autant les notations, des entrevues, les écrits parus dans les médias, la liste des collaborateurs.trices, qu’elle décrit les costumes et accessoires, les plans, les mouvements, etc[5].

 

Acquisition à la MAG

La fin des années 2010 marque pour Fortier l’acquisition de plusieurs éléments de ses chorégraphies par différentes institutions culturelles. En effet, le Musée de la Civilisation de Québec acquiert en 2016 la cabane, pensée avec le compositeur Robert Racine pour la chorégraphie Cabane (2008). Puis en 2018, le Centre National des Arts d’Ottawa acquiert le décor de La tentation de la transparence (1991) conçu avec l’artiste Betty Goodwin. Les décors et costumes de Bras de plomb acquis par la MAG en 2020[6] sont ceux présentés dans MAGDANCE 5 art + dance + archive. Si le chorégraphe transmet au moment de la donation sa volonté de les voir activer, la MAG prendra la balle au bond en les présentant comme objets d’art et sources d’inspiration pour soutenir des recréations. L’archive ici est déjà œuvre et la MAG peut l’inscrire aux côtés des sculptures et dessins de Goodwin qu’elle possède déjà.

©Daniel Paquet
James Viveiros et Jayden Pfeifer activant les décors de Bras de Plomb par la recréation Jötunn (2023) conçue par Vieiros et Nicolas Patry ©Daniel Paquet - photo.paquet.ca

Quel est le potentiel génératif d’une archive de danse?[7]

C’est la question qu’ensemble posent les partenaires dans le texte d’introduction de l’exposition, signé par Timothy Long, conservateur en chef de la MAG. La proposition orchestrée par cinq co-commissaires, soit Ginelle Chagnon, Paul-André Fortier, Timothy Long, Edward Poitras et Robin Poitras, rassemble dans un même lieu une exposition ainsi qu’un programme de résidences invitant 12 artistes des territoires canadiens[8] à répondre aux archives scéniques. L’espace se trouve hybridé, entre monstration et studio de création : quatre vitrines contiennent les costumes originaux des quatre tableaux de Bras de plomb et mènent vers un accrochage d’œuvres de Goodwin de la collection de la MAG. Un téléviseur propose une vidéo de la chorégraphie originale et on peut consulter la Boite chorégraphique sur place. Au centre de l’espace, le tapis original de la chorégraphie est déployé et les éléments de décor y sont installés de même qu’un piano à queue. Une estrade de trois paliers a été construite face à l’espace de performances pour accueillir des spectateur.rices.

©Daniel Paquet
Marcus Marasty et Marion Newman activant les décors de Bras de Plomb par la recréation The Kinder Project (2023) de Edward Poitras et Robin Poitras ©Daniel Paquet - photo.paquet.ca

Fondements matériel, immatériel et performatif

Le double registre de la mémoire[9] des arts vivants, son indissociable dialogue entre archive et répertoire[10] mènent à la métaphore du satellite pour décrire son patrimoine c’est-à-dire qu’un faisceau d’éléments gravitent autour de l’œuvre, elle-même disparue[11]. Ces éléments de toutes natures – photographies, objets, accessoires, mais aussi connaissances déposées dans les corps des praticien.ne.s et souvenirs dans ceux des publics – doivent être assemblés, remis ensemble au moment d’étudier l’œuvre disparue. L’un de leur fondement est donc la performativité[12] qui induit des formes de collaboration. Si ces fondements sont parfois difficiles à aborder pour des institutions culturelles dont la tradition de conservation et de mise en valeur les considère pour leurs qualités matérielles, l’initiative MAGDANCE 5 montre qu’il est possible de composer avec cette nature complexe du patrimoine des arts vivants.

©Daniel Paquet
Vue de l’initiative MAGDANCE 5 art + dance + archive, présentée à la Mackenzie Art Gallery du 26 août au 1er octobre 2023 ©Daniel Paquet - photo.paquet.ca

La galerie comme studio et espace sacré

En abordant cette potentialité de l’archive de la danse, l’initiative ouvre sur le mode performatif de la création et rend visible ce mode de production de la connaissance que seul.e.s les praticien.ne.s peuvent révéler. Leur épistémologie fondée sur le faire et sur un répertoire de pratiques corporelles[13] permet une mise en valeur en dialogue avec l’épistémologie historienne basée sur l’écrit et l’interprétation esthétique de la matière. La cohabitation de ces différentes connaissances dans l’initiative représente bien toute la complexité du patrimoine des arts vivants. L’objet est chargé d’une histoire de gestes et de dialogues créatifs qui en font sa principale valeur artistique. Pour leur part, les mémoires incarnées reposent sur une matière dormante. En activant cette potentialité, la collaboration entre différents points de vue suggère une écologie des savoirs[14] aux finalités ouvertes, rappelant que l’essence de l’œuvre réside aussi dans le dialogue entre points de vue. N’y-a-t-il pas là une extension du rôle de l’institution artistique, présentant l’œuvre ainsi que les savoir-faire qu’elle recèle, afin de reconnaitre la diversité de ces modes de production de connaissances?

[1] Agathe Sanjuan est conservatrice-archiviste de la collection en arts du spectacle à la Bibliothèque nationale de France lorsqu’elle réfléchit à ce second degré. Voir Sanjuan, A. (2010). À la recherche du spectacle perdu : les spécificités du patrimoine des arts du spectacle, Capturing the essence of performance: the challenges of intangible heritage, p. 96.
[2] Traduction libre de la mission : https://mackenzie.art/vision-and-values/
[3] Traduction libre de la vision : https://www.newdancehorizons.ca/vision-and-mandate.html
[4] Voir https://espaceperreault.ca/fr/projets/boite-choregraphique-bras-de-plomb/
[5] Gagnon, L. (2020). « Les boites chorégraphiques », Ouvrir la boite, Espace Perreault, p. 8-20.
[6] La donation comprend l’ensemble des éléments scéniques ainsi que les costumes originaux conçus par Goodwin.
[7] Texte de salle de MAGDANCE 5 art + dance + archive, https://mackenzie.art/exhibition/magdance-5/
[8] Brian Webb (Edmonton), Naishi Wang (Toronto), James Viveiros (Montréal), Rouge-gorge (Régina), Gordon Gerrard (Régina), Marion Newman (Toronto), Marcus Merasty, Anastasia Evsigneeva (Winnipeg), Anna Protsiou (Winnipeg), Lee Henderson (Montréal), Johanna Bundon (Régina) et Jayden Pfeifer (Régina),
[9] Bénichou, A. (2015). Recréer/scripter : mémoires et transmissions des œuvres performatives et chorégraphiques contemporaines, p. 9.
[10] Taylor, D. (2003). The Archive and the Repertoire : performing cultural memory in the Americas, Durham : Duke University Press, p. 19 et 21.
[11] Larocque, G. (2017). Du matériel à l’immatériel : réflexion sur une muséologie adaptée à la danse, p. 144.
[12] La notion de performativité permet de reconnaitre ce potentiel performatif d’un objet, d’un évènement ou d’une action à travers quatre catégories (être, faire, montrer le faire et l’expliquer). Voir Féral, J. (2013). De la performance à la performativité, p. 208-209.
[13] Taylor, D. (2003). The Archive and the Repertoire : performing cultural memory in the Americas, Durham : Duke University Press, p. 33.
[14] L’écologie des savoirs de Sousa Santos s’inscrit dans les débats actuels sur la justice épistémique voulant reconnaitre la validité épistémologique d’une pluralité de modes de production et d’acquisition de connaissances. Voir Baptiste Godrie, « Épistémologies du Sud et militantisme académique : entretien avec Boaventura de Sousa Santos, réalisé par Baptiste Godrie », in Sociologie et sociétés, n° 1, vol 49, 2017, p. 143-149.

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