Karla Étienne presents PEFAPDA – an interview led by Johanna Bienaise for Territoires Partagés – November 2019
Le PEFAPDA, Programme d’entrainement et de formation artistique et professionnel en danse, a été créé en 2003 par la chorégraphe Zab Maboungou, directrice artistique de Compagnie Danse Nyata Nyata. Karla Étienne, interprète et directrice adjointe de la compagnie, nous parle du contenu de cette formation offerte aux danseurs semi-professionnels et professionnels.
Karla (K.) : Au début de Nyata Nyata, il y a trente ans, Zab a bâti le studio sur le Boulevard St Laurent, de ses propres mains. Une des façons de financer la compagnie, c’était d’enseigner. Zab a donc enseigné, même avant la création du PEFAPDA. Elle a toujours eu comme perspective d’enseigner aux professionnels et au public en général en même temps. Dans ses cours, il y a des gens qui affectionnent la danse africaine et qui aiment les tambours. Mais il y a aussi des gens qui sont vraiment intéressés par le mouvement et ce que ça leur apporte comme bien-être et nouvelles connaissances. Et il y a des danseurs et des artistes de tout horizon qui voient comment la technique de Zab peut nourrir leur pratique. Au Centre Création Danse, il y a des classes qui sont ouvertes aux professionnels et au public en général et il y a des cours qui sont dédiés uniquement aux étudiant.e.s du PEFAPDA.
Johanna (J). : Il s’agit d’une formation en « danse africaine ». Peux-tu m’en dire plus ?
K. : D’origine franco-congolaise, Zab a développé sa technique en approfondissant sa connaissance des musiques et danses d’Afrique, notamment d’Afrique centrale. Ceci étant dit, on déplace la question de l’universalité pour affirmer que les principes qu’elle a développé dans sa technique d’enseignement, le lokéto, bien que spécifiques sont universels. Ainsi, le PEFAPDA est un programme «en danse» plutôt qu’en «danse africaine». Il faut rappeler qu’est au cœur de sa démarche, la création contemporaine. La danse que l’on pratique et celle que Zab crée, est de la danse contemporaine. Plusieurs pensent que la danse contemporaine, c’est la danse contemporaine européenne et américaine on va dire, mais la contemporanéité n’appartient pas à l’Occident. Il s’agit de repenser les centres esthétiques. Zab ne fait pas de métissage. La technique est héritière des danses et musiques d’Africaine. L’art des rythmes et du tambour sont au cœur de son processus de création. Cependant, on est complètement dans une approche contemporaine, une approche d’aujourd’hui. Autant dans la création que dans l’enseignement.
J. : De quoi est constitué la formation du PEFAPDA ?
K. : Dans ce programme, qui est pour semi-professionnels et professionnels, il y a des cours de danse, de théorie, de musique.
Dans les cours de danse, il y a le volet pratique et technique qui est le Rypada, rythme et posture et alignement pour la danse, il y a le cours de Pema, qui est axé particulièrement sur les exercices d’échauffements au sol, de travail de souffle, de flexibilité et d’échanges de poids. Il y a des cours de répertoire, ce qu’on appelle répertoire, c’est-à-dire tous les cours qui sont issus du répertoire africain ou néo-africain. Ça peut être caribéen, ça peut être de l’Afrique de l’Ouest, ça peut être du Brésil, ça peut être de la Capoeira. Il y a beaucoup de formes artistiques qui sont directement issues du bagage artistique et culturel africain, qui se sont développés sur le continent américain.
Il y a aussi les cours de tambours, et là encore, ça peut être soit des cours avec des rythmes issus d’Afrique centrale, soit des cours avec des rythmes néo-africains, provenant d’Haïti par exemple. Le tambour est au cœur de ces cours, la voix et d’autres instruments peuvent être aussi abordés. La classe avancée permet de pratiquer l’endurance rythmique, le rapport à l’énergie et à l’espace.
Et il y a plusieurs cours théoriques. Le cours Sources et contexte de la danse africaine présente comment la danse s’est développée lorsqu’elle est sortie de l’Afrique, aux États-Unis avec la Black Dance, ou encore en Haïti, que l’on appelle l’Île africaine en Amérique, où l’art des tambours a été particulièrement préservé et développé. Ce cours aborde donc le mouvement de la danse africaine de façon sociogéographique, politique et esthétique. Ensuite, il y a une classe qui s’appelle Rythmes et gestes. Elle offre aux étudiantes et étudiants la possibilité de réfléchir à ce qu’est le mouvement en danse. Il y a également une classe qui permet aux étudiant.e.s de se questionner sur les processus chorégraphiques de la compagnie – Elles et ils sont invité.e.s à regarder des répétitions à Nyata Nyata – et d’essayer de faire des liens, de voir comment les éléments théoriques étudiés peuvent se transposer dans la création chorégraphique.
J.: Qui sont les enseignants ?
K. : Zab enseigne, plusieurs artistes de la compagnie, des artistes associés au programme ainsi que des invités spéciaux. Il y a aussi des artistes qui sont de passage à Montréal et qui viennent donner des ateliers ponctuels. De mon côté, j’ai beaucoup enseigné, mais là j’avoue que j’enseigne moins parce que la partie d’interprétation et de gestion prend beaucoup plus de place. J’ai enseigné surtout la classe fondamentale et là, maintenant, j’enseigne de façon plus ponctuelle.
J.: Combien avez-vous d’étudiants dans le PEFAPDA?
K. : Le programme est fait pour environ 6-8 personnes. C’est donc très individualisé. C’est vraiment une cohorte très serrée et on y tient. Nyata Nyata est un centre de création. L’aspect formation nourrit la création comme la création nourrit la formation. On ne voulait pas devenir une « école ». Le but est vraiment de continuer de transmettre des savoirs, mais sans mettre de côté la force de la création. Zab n’enseigne d’ailleurs jamais la même classe. C’est toujours lié à la même technique, mais elle n’a pas créé par exemple une espèce de cycle, comme en yoga par exemple ou en ballet. Au contraire, c’est toujours en création. Le programme de formation est aussi un laboratoire vivant. Les étudiants viennent de toute sorte d’horizons, autant leurs origines que leurs pratiques. C’est un programme qui est fait pour les danseurs, mais on a aussi des gens qui sont conteurs, on a des musiciens, on a des gens de théâtre qui veulent mieux comprendre la source ancestrale des savoirs qui viennent d’Afrique pour l’incorporer dans leur pratique artistique. On voit aussi au fil du temps comment les étudiants réagissent au programme, qui vient au programme. Au début, c’était beaucoup de personnes québécoises et beaucoup d’afro-descendants et aujourd’hui, ça commence à changer. On a plus d’afro-descendants qui viennent au programme. Si, par exemple, il y a une année où on a plus d’étudiants qui viennent d’Haïti, on n’a pas les mêmes discussions que si on avait des gens qui viennent d’ailleurs. Et ça, c’est intéressant, c’est une autre des raisons pour lesquelles on appelle ça un laboratoire vivant.
Au studio, si tu venais prendre une classe, tu verrais que le public vient de partout, de toutes sortes de pratiques. Le Rypada, permet peut-être aussi de repenser ce qui est universel. Cette technique, tout le monde peut l’approcher. Et je crois que Zab a développé sa technique justement pour ça, pour qu’il y ait un langage de partage de connaissances et de savoirs qui peut être transmis. Après il faut le pratiquer, surtout avec le rapport aux rythmes. Il faut venir et pratiquer ça tous les jours.